La création de l'Analyse Psycho-Organique
Malgré son incontestable puissance, le mouvement psycho-corporel présente des lacunes. Prise naïvement, l’idéologie du courant psychocorporel, définie par Reich, affirmait qu’il suffisait d’exprimer émotionnellement ses affects et traumatismes anciens pour « se libérer ». On retrouvait ainsi une circulation énergétique fluide qui s’exprimait alors par une sexualité épanouie et un accès à une jouissance orgasmique.
En réalité, les fonctions les plus archaïques, les plus réflexes (donc totalement hors de la conscience) et les fonctions supérieures, celles de représentations (liées à la conscience et à la parole) sont certes en interrelation constante mais ces mécanismes ne sont pas simultanés, ils se déroulent selon des rythmes différents. Il faut donc travailler sur les deux versants des processus psycho-organiques pour qu’un dynamisme se mette en place durablement et amène de réelles transformations physiques et psychiques.
À partir de la fin des années 70 et surtout dans les années 80, les insuffisances du mouvement psycho-corporel furent de plus en plus évidentes pour les psychothérapeutes qui travaillaient avec une certaine rigueur. Paul Boyesen, entouré de quelques-uns des psychothérapeutes qui avaient reçu son enseignement, fut un des premiers psychothérapeutes à construire une méthode qui ne soit pas uniquement sous-tendue par l’une des thèses freudiennes, jungiennes ou reichiennes.
Les trois niveaux
L’analyse psycho-organique repose sur des concepts qui lient le psychique et l’organique dans une chaîne dynamique de processus distincts mais interactifs. Elle suppose une organisation sur trois niveaux que nous appelons l’organique profond, les connexions organiques et le concept. L’organique profond correspond à l’organisation émotionnelle comprenant le cerveau limbique et ses liens avec le système neurovégétatif ; les connexions organiques représentent les défenses musculaires et les postures corporelles ; enfin le concept est lié au système nerveux central qui permet la conscience et la mise en mots des affects profonds.
Ces trois niveaux forment un système, c’est-à-dire qu’aucun n’est premier, aucun n’est cause ou conséquence de l’autre. Dès que l’un est activé, les autres sont sollicités. On peut ainsi travailler en partant de n’importe lequel d’entre eux. Mais ce choix n’est pas aléatoire ; le psychothérapeute sera guidé par l’organisation psychique de son client, l’angle d’attaque singulier pour chaque personne.
Comme nous l’avons dit, l’analyse psycho-organique donne une grande place aux images des rêves nocturnes et à celles des rêves éveillés qui expriment des situations passées ou actuelles. Ces images sont « sensibles » c’est-à-dire porteuses de sensations et de sentiments. Par exemple, un couteau en acier bleu peut indiquer le froid (sensation), la peur ou la colère froide (sentiments), la vengeance (sens)… L’image éveillée porte bien évidemment le conscient mais aussi, et souvent de manière inattendue, l’inconscient du rêveur.
Établir un diagnostic
Pour un analyste psycho-organique, poser un diagnostic ne consiste ni à mettre une étiquette sur un symptôme ni surtout à enfermer la personne dans une parole d’autorité mais doit servir essentiellement à faire avancer le processus en suggérant des pistes de travail.
De plus, la problématique du client évolue au cours du temps puisqu’une expérience nouvelle se recrée à chaque séance. Il ne saurait donc exister un diagnostic posé une fois pour toutes.
Trois modèles dynamiques furent élaborés dans cet esprit : Le travail sur l’impulsion primaire et Le cercle psycho-organique par Paul Boyesen, et Les trois formes, par Jacqueline Besson et Yves Brault.
Le travail sur l’impulsion primaire est un modèle phénoménologique qui donne des indications diagnostiques sur les aménagements caractériels que l’on développe pour rester en lien avec ses ressources profondes. Ce travail se fonde sur la visualisation des situations passées, présentes et futures, sur le ressenti des sentiments qui accompagnent ces images et sur l’expression émotionnelle qu’elles peuvent engendrer.
Les grilles de lecture du cercle psycho-organique et des trois formes sont des modèles structuraux qui se renforcent mutuellement. Structure ici ne veut pas dire carcan mais contenant souple et vivant fait de liens repérables. Le contenu n’est pas défi ni par la structure mais selon la situation concrète. Cela donne une grande liberté en permettant d’y mettre un contenu spécifique fait de l’histoire passée et présente du client. Ainsi, par exemple, le cercle peut être une respiration complète (inspiration-expiration) ou représenter toute une vie allant de la conception jusqu’à la mort. Dans les trois formes on peut aussi mettre une multitude de contenus différents. C’est évidemment ce qui fait la grande richesse de ces concepts : ils permettent des repérages rapides qui peuvent ensuite être étoffés par la parole et l’histoire des clients.
L’aspect structurel nous dégage d’une trop grande emprise de l’histoire du sujet. Il nous permet de voir dans la relation thérapeutique la mise en œuvre de la structure sans nécessairement devoir revisiter le passé. Bien sûr, l’histoire n’est pas à rejeter mais elle peut être un leurre faisant croire à l’avancement d’un processus thérapeutique alors qu’elle n’est qu’un mécanisme de défense subtil.